Chaleureuse rencontre que celle à laquelle nous assistons, ce samedi 14 septembre, à Saint-Sulpice de Cognac, petit village niché au cœur des vignes couvertes de magnifiques grappes de raisin doré et qui seront bientôt vendangées pour donner le fameux Cognac !
En effet, catholiques, juifs et protestants sont rassemblés dans un joli jardin, qui a la particularité de donner - en sa partie basse – sur une ancienne carrière de pierres.
Les anciens maîtres de cette belle maison, des juifs, les Helbronner, qui en avaient hérité comme maison de vacances, avaient nommé ce lieu accueillant « Le clos d'Octavie » et si nous sommes réunis, en ce jour, c'est bien pour parler de cette fameuse Octavie...
Madame et Monsieur Dumont ont acheté cette propriété il y a environ deux ans et ils ont alors découvert qu'une belle histoire s'était déroulée en ce lieu.
Eux qui sont de grands amis d'Israël et des juifs ont été enthousiasmés de découvrir que l'ancienne propriétaire de cette maison y avait caché un enfant juif, ainsi que des membres de sa famille, les Helbronner !
Ce jour de fin d'été, les époux Dumont ont donc l'intention de partager cette découverte avec amis, voisins et autorités du village, ainsi qu'avec les représentants de Yad Vashem.
Etonnamment, personne n'a eu, jusque là, l'idée de proposer le nom de cette femme pour une reconnaissance de Juste des nations, par l'Institut international pour la mémoire de la Shoah de Yad Vashem...
C'est donc au milieu de ce bel après-midi de septembre que nous découvrons la vie de cette femme courageuse, Octavie Chalifour, présentée par Hélène Dumont.
Au cours de la cérémonie, qui rassemble environ 120 personnes, dont le Maire de Saint Sulpice de Cognac, des personnes ayant connu Octavie, des voisins qui ignorent tout de l'histoire..., des intermèdes musicaux viennent inciter au recueillement, à la joie, à l'espoir... Carmen, une jeune femme chilienne, joue avec sensibilité sur son violon, au pied de la sombre carrière illuminée par quelques bougies...
Et Norbert, de sa voix grave, captive l'auditoire par des chants tantôt en yiddish (Norbert est allemand), tantôt en hébreu.
Le représentant de Yad Vashem à Angoulême et président de l'association des juifs de Charente, Gérard Benguigui, prend la parole pour d'une part, expliquer ce que représente le travail de Yad Vashem et d'autre part, donner des témoignages de sauvetage de juifs en Charente. Moment très émouvant que celui où l'on découvre ces histoires de personnes qui ont risqué leur vie pour sauver des enfants, des femmes, des hommes ou même des familles entières...
Monsieur Benguigui termine en proposant qu'un dossier de reconnaissance comme Juste des nations soit ouvert pour Octavie Chalifour.
Juliette H, ancienne directrice de collège dans la région, est aussi invitée à prendre la parole. Elle qui est juive aussi, remercie ces anonymes et autres personnes reconnues, pour leur abnégation et le formidable travail de sauvetage effectué dans ces moments de terreur passés.
Quelques textes méditatifs écrits par une femme juive sont ensuite lus.
Enfin, Serge Chardonnet, spécialiste des carrières des Chaudrolles, présente un exposé sur ces fameuses carrières, vieilles de plus de 2000 ans, qu'il connaît comme sa poche, depuis l'enfance.
Et pour couronner la cérémonie, toute l'assistance est invitée à effectuer la découverte de ce lieu mystérieux, aux chandelles.
La visite de cette petite partie – 300 m2 - des carrières (d'un total de 23 hectares, quand même !) est passionnante, grâce aux anecdotes et explications détaillées de Serge.
Le cocktail qui clôt cet rencontre fort intéressante, permet aux associations Keren et les Chrétiens Amis d'Israël de faire connaître leur travail en faveur des juifs et d'Israël, par leurs petits stands de littérature et par les échanges avec les invités.
Histoire d'Octavie Chalifour racontée au travers du témoignage de Jean-Louis Helbronner, qu'elle a caché chez elle...
Je soussigné JEAN-LOUIS HELBRONNER,
Né le 25 septembre 1930 à Paris 16eme, de nationalité française, domicilié 5 Square de l’Avenue-du-Bois, 75116 Paris déclare l’exactitude du témoignage suivant en vue de demander l’attribution de la médaille des justes pour Madame Marie Octavie, dite usuellement Octavie CHALIFOUR née le 17 août 1890 à Mazerolles, 86153 Vienne, France.
Je suis né fils unique dans une famille bourgeoise juive française aisée. Mon père, Edouard, fils de Louis Helbronner, avocat et de Germaine Ellissen. Mon grand-père Louis mobilisé en 1914 fut mortellement blessé sur le champ de bataille en août 1914 laissant cinq enfants dont mon père était l’ainé. Louis était le frère de Paul Helbronner, géodésien, membre de l’Institut et de Jacques Helbronner, Président de section au Conseil d’Etat, Président du Consistoire Central de Israélites de France de 1940 à 1943 à Lyon.
Mon enfance s’est déroulée bourgeoisement jusqu’en 1940, 10 rue Bénouville, Paris 16ème dans un appartement confortable de 6 pièces ; nous avions une cuisinière, une femme de chambre, une nounou puis une nurse anglaise. La femme de chambre engagée en 1929 s’appelait Octavie Chalifour, c’est à elle que j’aurai souhaité voir attribuer la médaille des Justes.
Donc, en septembre 1940, comme tous les ans je suis avec mes parents au château de Vineuil, près de Chantilly chez mes grands -parents Adolphe et Yvonne Oppenheim. Mon grand-père est banquier ; mon père est mobilisé. Je vais à l’école communale de Vineuil jusqu’à l’offensive allemande du printemps 1940. Ma mère, Octavie et moi partons pour la Sarthe au château de Rahay, près de St-Calais, et y retrouvons ma gd-mère Germaine Helbronner ainsi qu’Anna Golcoff, l’amie de mon oncle Georges Helbronner, mobilisé. Nous y sommes restés jusqu’à l’arrivée proche des Allemands, vers le 10 juin. La famille décide alors de se replier vers le sud.
Octavie Chalifour (OC), elle-même veuve de la guerre de 14-18, sans enfant, propose alors à la famille de nous accueillir dans sa maison, bâtie sur une zone de carrières de pierre encore en exploitation aux Chaudrolles, commune de Saint-Sulpice-de-Cognac, Charente. Dans le village vivent également ses beaux-parents, Léopold et Alice Chalifour, exploitants agricoles. La famille accepte cette offre. Nous franchissons la Loire à Chinon. Arrivons aux Chaudrolles dans cette maison récemment restaurée, trop petite pour recevoir tout le monde. Ma grand-mère demande au sous-préfet de Cognac une réquisition de maison voisine qui fut obtenue sans difficulté.
L’armistice qui suit nous place en Zone Occupée à 100 kms de La Rochefoucauld, à cheval sur les deux zones. Nous sommes installés à huit dans les deux maisons. De Juillet à Septembre mon père et ses frères nous retrouvent en Charente, je n’ai pas de souvenir exact de cette période, Plusieurs membres de la famille passent par la maison pour gagner ensuite la zone libre. Je reste aux Chaudrolles avec mes parents. Mon père essaye de retrouver un travail et passe une grande partie de son temps à envoyer des colis d'œufs à la famille à Paris pendant l’hiver 40 et l’année 1941. En 1942, sous une fausse identité, il rentre à Paris où il sera arrêté et déporté en 1943.
Année scolaire 40-41, avec l’aide des Cours Hattemer par correspondance, mes cours de 6ème me sont donnés par le curé de St-Sulpice, l’Abbé Lamandé pour le latin et l’institutrice de la Communale, Melle Bégouin. Mon père regagne Paris au cours de l’année 1942. Ma Mère et moi restons seuls avec Octavie C. dans sa maison. Ma mère est connue dans tout le village comme « la juive ». Ma mère reçoit tous les mois de la secrétaire de mon gd-père une enveloppe recommandée chargée de 5000 francs pour nos dépenses courantes dont le salaire d’Octavie, 150 /180 francs par mois.
Septembre 1941, je retrouve une scolarité normale, classe de 5e, en allant tous les jours au Collège de Cognac à 8 kms, parcours que je fais 5 fois par semaine, 16 km, AR quel que soit le temps sous mon identité, avec en poche ma carte d’identité, mention JUIF. J’en ai aussi une seconde grâce au maire sans la mention. Je porte l’étoile jaune sur mes vêtements fixée... par des boutons pressions. Je déjeune en 1/2 pension à Cognac chez une logeuse, Mme Auppert qui connaît ma situation. J’ai un professeur d’allemand, alsacien, interprète à la kommandantur qui me préviendra chaque fois qu’il y a la gestapo à Cognac. Ces jours-là, jusqu’en 1944, je ne me déplace plus et OC m’emmène dans les carrières voisines pour me cacher en cas de visite allemande intempestive.
Le 25 juin 1942, le principal du collège, Mr Emile Gouillers écrit à ma mère qu’il «se verra dans la nécessité d’interdire à votre fils l'entrée de l’établissement si, à partir du lundi 29 juin, il se présentait sans être porteur de l’insigne distinctif exigé par les autorités d'occupation des personnes de race israélite. »
Le 14 juillet 1942, sur dénonciation par d’aimables voisins, la feldgendarmerie vient à la maison arrêter ma mère parce qu’elle écoute Radio Londres. OC m’envoie me cacher dans les carrières sous la maison. Ma mère reste enfermée à la prison de Cognac jusqu’au 25 juillet. Il n’est jamais fait état qu’elle est juive.
Août 1944, les Allemands battent en retraite et passent devant la maison sur la N141. Devant cette menace qui va durer plusieurs jours, OC me cache encore dans les carrières jusqu’à leur départ définitif.
Ma scolarité s’est poursuivie ainsi jusqu’à la première partie de mon bac en juillet 1946 que je passe à Angoulême.
Vu les mauvaises conditions de vie, nous ne rentrons à Paris qu’en Septembre 46.
Octavie restera jusqu’à la fin de ses jours dans sa maison. Comme elle n’avait pas de descendance, nous avons acquis sa maison qui était devenue depuis la maison d’été de toute la famille. En souvenir, nous lui avons donne le nom de «Le Clos d’Octavie»
Octavie Chalifour est venue ensuite régulièrement à Paris dans la famille tous les ans, passer l’hiver, jusqu’à son décès chez ma mère à Paris 16ème le 17 décembre 1982.
Fait à Paris le 13 Mai 2021.
Quelle histoire incroyable, merci beaucoup de ce partage !!!