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Photo du rédacteurJean-Marc Thobois

De Galilée il ne sort pas de prophète (Jean 7 v.52)

Dernière mise à jour : 11 sept. 2023


Ainsi s'expriment les rabbins Galiléens quand ils discutent de Jésus. Voilà bien l'attitude méprisante de l'habitant de la capitale pour le "provincial".

C'est qu'à l'époque du Nouveau Testament, l'antagonisme entre Galiléens et Judéens (que Jean dans son Evangile appelle "juifs", c'est-à-dire habitants de la Judée par opposition aux Galiléens) était vif.


Imbus de leur culture biblique, de leurs sages, les rabbis Judéens méprisaient les paysans de Galilée. La Galilée c'était la "Galilée des païens". Située sur l'axe des grandes voies de communication du monde ancien, la Galilée était ouverte aux influences étrangères. Il y avait de nombreuses colonies grecques et de cités hellénistiques ouvertement païennes : Schytopolis (Beit Shean), Acco (Ptholemais) et surtout Tibériade, ville dédiée à l'empereur Tibère. On mettait donc en doute à Jérusalem la pureté de la foi des Galiléens. On se moquait aussi de leur accent de "provinciaux" (Luc 22 v.62, Marc 14 v.70).


Flavius Josèphe affirme cependant que les Galiléens étaient des hommes de guerre courageux. Mais pour les pharisiens, "ils ne connaissaient pas la Thora et n'étaient pas des maudits" (Jn 7 v.48). Les Galiléens étaient considérés comme des paysans illettrés ne connaissant pas la véritable Thora, ni sa véritable interprétation.


De fait, la Galilée était peuplée d'une population essentiellement paysanne. Le "paysanisme" apparaît nettement dans l'enseignement de Jésus. Qu'on relise à ce sujet le "sermon sur la montagne", les paraboles etc.



Jésus : le Messie Galiléen



Comme tous les Galiléens, Jésus était un juif de la synagogue, à l'inverse des Judéens qui étaient des "juifs du Temple", bien que comme tout juif, Jésus soit allé adorer au temple qu'il appelait la "maison de son Père", mais il enseignait essentiellement dans les synagogues de Galilée. Or, la langue parlée en Galilée était l'araméen. Dans la synagogue elle-même, si la Thora était lue en hébreu, elle était aussitôt traduite en araméen par un "metourgueman" (traducteur) ou "amora" pour que le peuple puisse la comprendre. Cette interprétation, d'abord orale, fut mise par écrit après la destruction du Temple. C'est ce qu'on appelle les "targums". Des études récentes ont montré que c'est surtout dans le milieu galiléen que les targums sont nés. Il ne s'agit pas d'une traduction littérale mais plutôt d'une interprétation libre du texte biblique. S'il en est ainsi, les targums nous permettent de comprendre ce qu'était le milieu galiléen dans lequel Jésus a agi.


Ce qui frappe dans les targums, c'est l'interprétation messianique de nombreux messages. Ceci nous permet de conclure que l'attente du Messie était particulièrement vive en Galilée. Ceci est confirmé par le fait que, c'est en Galilée que prit naissance le mouvement zélote qui provoqua la grande révolte contre les romains et qui était un mouvement messianique...


Le Messie des targums a un profil bien particulier. Il est le nouveau Moïse porteur d'une Thora renouvelée. C'est ainsi que Jésus est présenté dans l'Evangile de Matthieu. Là, Jésus apparaît comme un rabbi qui interprète la Thora pour en donner le sens véritable. Comme tous les rabbis de Galilée, son enseignement était oral. Il attend de ses disciples qu'ils retiennent son enseignement et l'enseignent à leur tour. Jésus s'adresse à un public populaire, de langue araméenne. Dans le judaïsme de cette période, à côté de la Thora écrite existait la "Thora orale" qui ne pouvait pas être écrite et était en fait l'interprétation de la précédente. Jésus affirme qu'il n'est pas venu abolir la Thora ou les prophètes, mais l'accomplir et donc lui donner son vrai sens... Mais à l'inverse des rabbis de son temps, Jésus ne qualifiera jamais son enseignement de "Thora orale", mais de "Royaume des cieux". Il s'agit d'une notion très vaste et très riche qui, chez Matthieu notamment, a parfois le sens de "règle messianique", loi du règne de Dieu qui vient, enseignement à vivre pour pouvoir pénétrer dans le royaume messianique dont Jésus était porteur.



L'interprète véritable de la Thora



Jésus est l'interprète véritable de cette règle, le "metourgueman Amora" de cette Thora renouvelée, qui trouve son point d'ancrage dans la tradition populaire araméenne galiléenne telle qu'elle apparaît au travers des targums.


C'est aussi en Galilée qu'est née, quelques siècles plus tard, la Massora (tradition). A l'époque du Nouveau Testament, le texte biblique n'était pas vocalisé. Il n'y avait pour le lire que des consonnes. Pour le comprendre, le texte écrit ne suffisait pas, il fallait un maître qui connaissait la vocalisation traditionnelle du texte, qui depuis les origines s'était transmise de bouche à oreille de chaque génération, d'où le nom de "massora", vocalisation traditionnelle du texte biblique.

Après la destruction du Temple et la deuxième révolte juive, un système de points voyelles sera élaboré, c'est ce qu'on appelle la "vocalisation de Tibériade", car c'est dans cette dernière ville qu'elle fut effectuée.


Les évangiles, surtout celui de Jean, nous présentent Jésus comme le dépositaire de la "tradition massora" céleste qui transmet ce qu'il a reçu du Père avec fidélité. Le Père (Abba) dans la tradition Galiléenne est, non seulement celui qui donne la vie biologique, mais aussi celui qui transmet la vie d'en haut, en donnant le pain d'en haut à ses enfants ; la Parole de Dieu par le souffle de l'Esprit. Tout Père se doit de donner à ses enfants non seulement le pain d'en bas, mais le pain du ciel. La base de la vie juive consiste, comme dit le "shema", à "inculquer ses commandements à tes enfants". Les sages de leur côté affirment que "celui qui enseigne à son prochain les préceptes de la Thora, c'est comme s'il l'avait engendré". Dans certaines de ses épîtres, notamment aux Corinthiens, Paul fera appel à cette notion pour rappeler sa paternité aux Corinthiens qu'il a engendrés par la parole et par le souffle, à la vie divine. D'où le nom que l'on donne aux rabbis galiléens : "Abba Mara" (père enseigneur), tandis que les disciples sont les "Talmid benaya" (disciples fils) selon l'expression du livre des proverbes "mon fils... écoute mes paroles".

C'est dans ce contexte aussi que Jésus demande de n'appeler personne "père et enseigneur" car Dieu seul est Père et enseigneur. Il donne le vrai pain de vie : Jésus le fils unique, le disciple unique du Père, est l'interprète fidèle de ses paroles. Il communique l'enseignement véritable, celui de la pensée du Père dont il est lui la Parole vivante. Le fils unique, Parole du Père, fait alors naître des Fils comme au commencement la Parole du Père avait créé Adam.



Le pain de vie



Mais le Père dans la tradition galiléenne, est aussi celui qui communique la vie d'en haut par son souffle, son esprit. Enseigner, c'est donner sa vie, c'est se donner totalement, c'est donner son esprit. Ce souffle-Esprit, c'est celui que Dieu insuffle à Adam au commencement, comme Jésus le fait sur ses disciples le soir de Pâques (Jean 20 v.23). Mais c'est aussi la vie même de Dieu qui donne vie à la Parole du Père et se communique aux disciples. L'image est encore plus parlante quand on se souvient que l'enseignement de Jésus était oral.


Restes d'un synagogue en Galilée (Capernaum)

Il n'est donc pas étonnant de constater, comme le dit Jean, que Jésus "fut bien reçu par les Galiléens", que c'est dans cette région qu'il eut le plus de succès et que les problèmes venaient surtout de Jérusalem, où l'on disait, lors de la fête des rameaux, "c'est Jésus le prophète de Galilée", sans nul doute avec une nuance de mépris.


Pourtant, Esaïe avait déclaré : "Le pays de Zabulon et de Nephtali, la région de la plaine, la route de la mer en Transjordanie, la Galilée des païens le peuple qui marche dans les ténèbres voit une grande lumière". Il existe encore, notamment, parmi les cabbalistes de Safed, une tradition basée sur ce texte selon laquelle le Messie paraîtra de Galilée. Le soir du shabbat, on peut encore voir à l'heure où le soleil se couche, quelques cabbalistes scruter l'horizon pour voir si le Messie ne paraît pas.


Lors de la Pentecôte, les apôtres sont tous reconnus comme étant des galiléens. Jean le Galiléen ne dira-t-il pas avec une légitime fierté, que "la Parole a été faite chair et qu'elle est venue habiter chez nous (Galilée)". Cette Galilée des païens, dans les évangiles surtout, c'est le microcosme qui préfigure l'annonce de la Bonne Nouvelle à toute créature et notamment aux païens. Depuis la montagne où Jésus ressuscité a donné rendez-vous à ses disciples, après leur avoir dit " Je vous précède en Galilée". Il n'est pas impossible qu'à la base, la querelle qui subsiste entre le Judaïsme et la foi chrétienne ait pour origine cet antagonisme entre une Galilée ouverte sur le monde païen et la Judée plus fermée. Quoi qu'il en soit, la Galilée reste à jamais la terre des évangiles, cette terre où s'enracine le message des béatitudes, des paraboles, du pain de Vie, terre de larmes, d'espérance et d'attente, terre de prières, jalonnée de synagogues, maisons de prière où "Dieu a visité son peuple" : il nous a précédés en Galilée.



Article paru dans l'Hashomer n°22 en 1983

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1 commentaire


md94
15 sept. 2023

Magnifique, quel dommage qu'on ne nous ait pas appris ça dans l'Église, c'est un riche enseignement, et l'Evangile de Jean est décidément rempli de mystère...

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