Au cœur des montagnes du Rif, à seulement 600 mètres d’altitude, se dresse une cité bien étrange : ses dédales de rues et de maisons sont peints en bleu, et ce depuis son origine, sans que ce rituel ne se perde au fil des siècles. On raconte que cette couleur est le fruit d’une tradition juive, héritage des immigrés sépharades qui trouvèrent refuge à Chefchaouen, et qui cherchaient ainsi à donner un avant-goût du paradis. Mythe ou réalité ? Qu’importe. Aujourd’hui, des milliers de touristes bravent les routes sinueuses des monts marocains pour aller déambuler dans les ruelles de la plus pittoresque des villes d’Afrique du Nord et admirer les différentes nuances de peinture bleue de la médina.
Une ville-refuge
Chaouen, dont le nom signifie « les cornes » en berbère, référence aux crêtes montagneuses qui surplombent la cité, fut fondée en 1471 par le sultan Moulay Ali Ben Rachid. Désireux de bâtir un bastion pour résister aux invasions portugaises et espagnoles du nord du pays, le sultan ne choisit pas son emplacement au hasard. Sa cité cachée par les montagnes dans une vallée fertile avec de nombreuses sources a servi de base pour endiguer l’influence des Portugais de Ceuta. La ville fut construite dans un style andalou-maghrébin, à l'intérieur de puissants remparts flanqués de tours et percés de sept portes.
Quelques années plus tard, Chefchaouen accueillit les expulsés d’Espagne : des juifs, mais aussi des maures, des musulmans, ainsi que des andalous fuyant la Reconquista chrétienne qui sévit à partir de 1492 dans le royaume espagnol. Les réfugiés s’organisèrent dans des communautés bien distinctes. Grâce à l’arrivée de ces populations, la ville put prospérer paisiblement, loin des regards des envahisseurs.
Un havre de paix pour les persécutés ?
Mais Chaouen n’était pas pour autant la ville idyllique rêvée, avec ses communautés religieuses vivant en harmonie les unes avec les autres. La crainte du chrétien espagnol lui vaudra son fanatisme religieux : aucun chrétien ne pouvait entrer dans la cité sous peine de mort. Par ailleurs, on y comptait pas moins de 20 mosquées et 28 mausolées, dont sa Kasbah et sa Grande Mosquée au minaret octogonal qui se dressent au beau milieu de la place Outa el Hammam. Tous ces lieux saints lui vaudront le nom de « ville bénie ».
Le père Charles de Foucauld, premier européen chrétien à visiter la cité à la fin du XIXe siècle, raconta que les musulmans de la ville semblaient assez hostiles envers la communauté juive qui restait confinée dans son quartier, le Mellah, qu’elle n’osait quitter par peur de harcèlement ou d’attaque. Foucauld mentionna ces faits car, habillé comme un juif pour passer inaperçu lors de son expédition, il aurait souffert dans sa chair le sort des juifs, durant son court séjour à Chefchaouen.
Bien plus tard, les espagnols colonisèrent Chefchaouen - en 1920 - intégrant ainsi la ville au territoire espagnol du Maroc. La région accueillit, par la suite, des réfugiés juifs fuyant l’Europe pendant la Shoah. La plupart de ces Juifs quittèrent ensuite la région à la fin des années 1940, pour émigrer en Israël. La ville fut finalement restituée lorsque le Maroc obtint son indépendance en 1956.
Les murs bleus : rituel juif ou marketing commercial ?
Plusieurs versions tentent d’expliquer cette étrange tradition de peindre les murs des maisons en bleu. L’origine remonterait à l’installation de ces fameux juifs séfarades expulsés d’Espagne qui, après avoir trouvé refuge dans la ville marocaine, peignaient leurs maisons en bleu, couleur du ciel dans le judaïsme. Le bleu rappelait ainsi les réalités célestes et apportait une protection divine sur les maisons. De nombreux habitants disent que les murs bleus de Chefchaouen n’ont été trouvés que dans la partie juive de la ville, le Mellah, jusqu’à une date assez récente.
D’autres, en revanche, pensent que le bleu symbolise l’importance de la cascade de Ras el-Maa, où les habitants de la ville s’approvisionnent en eau potable. D’autres encore croient que des nuances de bleu ornent la ville pour aider à dissuader les moustiques et éviter la malaria. Il est possible que les habitants aient remarqué moins de moustiques dans la partie juive de la ville et aient décidé de faire de même pour débarrasser leurs maisons des insectes nuisibles. On avance même que les femmes du village, dans les années 20, se seraient réunies pour trouver une solution, afin de dynamiser le commerce de la région qui périclitait et qu'elles auraient décidé de rendre la ville plus attrayante en peignant ses murs en bleu.
Bien que cela n’ait certainement pas été la raison initiale de la peinture bleue de Chefchaouen, l’attraction des touristes est une raison majeure pour laquelle la pratique se poursuit. Aujourd’hui, c’est une destination touristique mondiale. La ville est d'ailleurs inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2015.
Vers une nouvelle activité commerciale ?
Fait bien moins glorieux, la région est depuis plus d’une vingtaine d’années l’épicentre de la fabrication de haschich au Maroc et les habitants ne vivent quasiment que de ce commerce. On traverse d’ailleurs un nombre incalculable de champs de cannabis tout au long de la route des montagnes du Rif, cultures qui poussent paisiblement à la vue de n’importe quel passant. Et s’il vous prend l’envie de vous arrêter dans l’une des villes de la région, ne soyez pas surpris si l’on vous propose un kilo ou deux de cette surprenante récolte à ramener dans vos bagages !
Merci Shoshana, très bel article, les Juifs ont toujours apporté le ciel avec eux partout où ils allaient. Chefchaouen est le contre-exemple avant l'heure des bienfaits du vivre-ensemble (avec l'islam notamment).